Selon le Centre international de recherche sur le cancer, le travail de nuit effectué sur des périodes de 20 ans et plus serait un facteur de risque associé au cancer à cause des dérèglements des cycles circadiens que ce travail entraine. Les cancers du sein, de la prostate et du côlon ainsi que certains problèmes cardiovasculaires seraient particulièrement concernés. Un déficit de mélatonine chez ces travailleurs a été avancé comme hypothèse explicative de ces incidences plus élevées de cancer.
«Comme la mélatonine, qui est un puissant antioxydant, est sécrétée surtout de nuit et que sa production cesse au contact de la lumière, ce lien paraissait plausible», explique Marie Dumont, professeure au Département de psychiatrie de l'Université de Montréal et chercheuse au laboratoire de chronobiologie du Centre d'études avancées en médecine du sommeil de l'Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal.
La mélatonine est connue pour être l'hormone du sommeil; sa sécrétion, par la glande pinéale, débute environ une heure avant l'heure habituelle du coucher et atteint un pic au milieu de la nuit. Elle facilite l'endormissement et le maintien du sommeil. Le moment de sa sécrétion est déterminé par notre horloge biologique centrale, qui est située dans l'hypothalamus et qui gère les horloges périphériques d'autres parties du corps.
Dérèglement de l'horloge
«Lorsque nous subissons un décalage horaire à la suite d'un voyage, notre horloge s'ajuste en quelques jours sous l'effet du cycle du jour et de la nuit, poursuit Mme Dumont. Mais, chez les travailleurs de nuit, ce rajustement ne parvient pas à se faire.»
Le déficit de mélatonine chez ces travailleurs et le lien avec le cancer n'ont par contre jamais été démontrés. Les études qui ont conclu à une production plus faible de cette hormone chez les travailleurs de nuit sont basées sur des analyses d'urine prélevée uniquement au cours de la nuit ou le matin. «Rien ne nous assure que l'organisme ne compense pas ce déficit par une production répartie sur 24 heures», souligne la chercheuse.
C'est précisément ce point qu'elle a voulu tirer au clair par une recherche qui vient d'être publiée dans la revue Chronobiology International. Ses travaux ont montré que, sur deux périodes de 48 heures, la production de mélatonine chez des téléphonistes de nuit ne diminue pas par rapport à la production mesurée chez ces mêmes personnes lorsqu'elles travaillent de jour.
Marie Dumont conclut que la recherche d'un équilibre doit primer, au lieu de tenter de le rétablir avec une exposition trop intense à la lumière après un travail de nuit.
Intensité lumineuse
Étant donné que l'intensité lumineuse de l'environnement où s'effectue le travail de nuit peut être déterminante sur le taux de mélatonine, Marie Dumont a également tenu compte de ce facteur en demandant aux participants de porter en continu un photomètre ambulatoire.
L'intensité mesurée dans l'environnement des téléphonistes était plutôt faible et variait de 35 à 225 lux, la moyenne se situant entre 65 et 70 lux. Cette moyenne équivaut à ce qu'on trouve habituellement dans un salon le soir lorsque le téléviseur est allumé. Par comparaison, dans une pièce éclairée par le soleil, la lumière peut atteindre de 400 à 500 lux.
Selon la chercheuse, une intensité lumineuse de l'ordre de 70 lux correspond à celle de l'environnement de nombreux travailleurs de nuit dont les infirmières, les gardiens de sécurité, les animateurs de radio et autres. Un éclairage de cette intensité ne conduit donc pas à une diminution de mélatonine.
L'étude a par ailleurs fait ressortir un résultat inattendu: bien qu'il n'y ait pas eu de baisse de la production nocturne de mélatonine chez les téléphonistes exposés aux intensités lumineuses les plus vives (de 100 à 225 lux), cette production a néanmoins significativement diminué sur une période de 24 heures. «Il semble qu'une intensité lumineuse élevée enclenche le mécanisme de resynchronisation de l'horloge biologique centrale et que ce soit au cours de cette reprogrammation, alors que les horloges périphériques sont en conflit, que la production de mélatonine décroit», suggère la professeure en guise d'explication.
À son avis, c'est le maintien d'une telle période d'irrégularité pendant plusieurs années qui serait dommageable à la santé.
Mais il y aurait moyen d'y remédier. La solution ne consiste pas à s'exposer à une intensité lumineuse très grande lorsqu'on travaille de nuit comme on l'a cru jusqu'à maintenant, mais plutôt à rechercher un compromis entre l'ajustement au jour et l'ajustement à la nuit afin d'assurer une stabilité à l'organisme. Des expériences réalisées en ce sens par l'équipe de Marie Dumont auprès d'infirmières de nuit ont en effet montré qu'on pouvait réguler les phases du sommeil et atteindre un certain équilibre de l'horlogerie interne par des dosages appropriés de l'intensité lumineuse sur une période de 24 heures.
Daniel Baril
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