Bien soigner les dépressions des seniors
INFOGRAPHIE - Il existe de nombreux moyens de prise en charge, encore faut-il les diagnostiquer.
Il y a un vrai paradoxe dans notre pays. D'un côté, trop d'adultes reçoivent des médicaments psychotropes alors qu'ils n'en ont pas l'utilité. Et d'un autre, des personnes âgées ayant une authentique dépression ne sont pas soignées, soit parce que leur maladie n'est pas reconnue, soit parce que la prescription d'antidépresseurs fait peur à cet âge. Pourtant, lorsque le diagnostic de dépression est bien posé, les études montrent que les antidépresseurs font mieux que le placebo. À l'inverse, en l'absence de dépression majeure, la prescription d'un antidépresseur n'est pas fondée car dans les formes mineures, il n'y a aucun bénéfice à en attendre. Juste des effets secondaires…
Mais alors, pourquoi un tel retard à prendre correctement en charge les dépressions majeures des personnes âgées? Les raisons en sont multiples: «Dans l'entourage de ces personnes, on pense qu'il est normal d'être triste en raison de douleurs chroniques ou parce qu'un proche s'en est allé. Et c'est vrai, cela peut expliquer une tristesse. Mais à la différence d'une dépression, cette tristesse n'est pas présente 24 heures sur 24 et sept jours sur sept», souligne le Pr Jean-Philippe Boulenger, chef du pôle de psychiatrie adulte au CHU de Montpellier. Ainsi, un changement récent de situation - passage à la retraite, veuvage, maladie, isolement social, éloignement familial, etc. - augmente le risque de dépression, mais il ne l'explique pas à lui seul. Vient s'y ajouter le problème de la perte des rythmes: ne plus se lever et ne plus manger à heures régulières au seul motif que plus rien n'y oblige quand on est à la retraite a surtout pour effet de perturber la sécrétion de certaines neuro-hormones comme la mélatonine, très impliquée dans la régulation de l'humeur. Or en cas d'épisode dépressif majeur, un dérèglement des rythmes biologiques est quasi une constante.
Être très vigilant
C'est donc dans toutes ces situations à risque qu'il faut se montrer très vigilant. Il faut l'être d'autant plus que les personnes âgées expriment rarement spontanément ce qu'elles ressentent. «Les signes de la dépression, à savoir une tristesse constante, une autodépréciation et un sentiment de culpabilité, existent à trente ans comme à soixante-dix ans. Simplement, avec l'âge, ils sont souvent plus discrets (peu exprimés) et plus difficiles à repérer du fait de la fréquence d'autres maladies associées, souligne le Dr Olivier de Ladoucette (psychogériatre, président de la Fondation pour la recherche sur l'Alzheimer). Au moindre doute, notamment devant la tristesse continue d'un proche âgé, surtout lorsqu'elle s'accompagne de troubles du sommeil, d'un désintérêt pour la nourriture, d'une altération de l'état général et/ou d'auto-accusations, d'une dépréciation de soi, il faut en parler au médecin traitant, au gériatre ou au psychiatre, sans chercher de bonnes excuses à cette tristesse.»
Plus difficile à repérer, la dépression est aussi moins bien soignée. «Les personnes âgées ayant un problème médical chronique (diabète, hypertension artérielle, problème cardiaque, etc.) ont deux à quatre fois plus de risque d'avoir une dépression majeure que d'autres du même âge en bonne santé. Mais comme la priorité est souvent donnée à l'aspect somatique, le diagnostic de dépression est négligé», insiste le Pr Boulenger. Par ailleurs, pour le Pr Philippe Courtet, chef du Département urgence et post-urgence psychiatrique de Montpellier, «même quand ils sont prescrits, les antidépresseurs le sont trop souvent à doses insuffisantes, par crainte des interactions médicamenteuses avec les autres médicaments. Or si ces médicaments ne sont pas donnés à une posologie suffisante, ils restent sans effet». On peut (on doit) donc donner des antidépresseurs aux seniors en dépression majeure (quitte à faire du ménage dans les autres médicaments, pas tous utiles) et leur proposer un soutien psychologique.
C'est possible et cela n'a rien de très compliqué. «Il suffit de respecter certaines précautions, comme augmenter très progressivement les doses, confirme le Pr Boulenger. Et en cas d'échec thérapeutique, il ne faut pas non plus en rester là car les études montrent qu'après un second, voire un troisième ou un quatrième essai avec un autre antidépresseur, plus de 80 % des malades sont en rémission.» Seules les associations d'antidépresseurs sont vivement déconseillées chez les plus de soixante ans. En cas d'échecs thérapeutiques ou de contre-indications médicales à ces médicaments, il reste alors la solution des électrochocs: «Deux à trois séances hebdomadaires (sous anesthésie générale) pendant trois ou quatre semaines suffisent le plus souvent. Hormis quelques troubles de la mémoire dans les semaines qui suivent, il n'y a pas d'effets indésirables gênants et les résultats sont vraiment bons. Il ne faut donc pas en avoir peur quand toutes les autres solutions ont été épuisées», conclut le Pr Boulenger. Ce qui compte, c'est l'obtention d'un bon résultat…