Nouvelle piste : le diabète serait lié à une sécrétion insuffisante de mélatonine
Dans la Nurse Health Study, une sécrétion nocturne insuffisante de mélatonine vient d'être associée à une incidence accrue du diabète 2. Un résultat qui converge avec beaucoup d'autres données. Auteur : Vincent Bargoin.
Boston, Etats-Unis - Une analyse rétrospective menée sur des participantes à la Nurses Health Study (NHS), et publiée dans le Journal de l'American Medical Association, associe étroitement une sécrétion nocturne réduite de mélatonine et la survenue d'un diabète de type 2 : le risque associé aux concentrations les plus basses par rapport aux plus élevées, serait ainsi plus que doublé [1]. Naturellement, une étude rétrospective ne prouve pas une relation de cause à effet. Ces nouveaux résultats viennent toutefois s'ajouter à un ensemble de données globalement convergentes, obtenues chez l'animal, en génétique humaine, et lors d'études cliniques limitées.
Pour les auteurs, « des travaux supplémentaires sont nécessaires pour déterminer dans quelle mesure l'augmentation de la sécrétion endogène de mélatonine (par exposition prolongée à l'obscurité nocturne), ou l'apport exogène par supplémentation, pourrait accroitre la sensibilité à l'insuline, et réduire l'incidence du diabète de type 2 ».
Un ensemble de résultats convergents
La mise en cause de la sécrétion de mélatonine dans le diabète peut sembler surprenante. En fait, avant même les résultats publiés dans le JAMA, un certain nombre d'arguments avaient été publiés à l'appui de l'hypothèse.
Biologiquement, on trouve des récepteurs à la mélatonine dans le pancréas, et inversement, des récepteurs à l'insuline au niveau de la glande pinéale.
Chez l'animal, l'ingestion de mélatonine a un effet protecteur vis-à -vis du diabète, et améliore le cholestérol et les triglycérides.
Chez l'homme, des études de génétique ont montré que des mutations avec perte de fonction du récepteur de type B à la mélatonine, sont associées à des glycémies et des taux d'HbA1c plus élevés, ainsi qu'à un risque accru de diabète gestationnel et de diabète de type 2.
Chez l'homme, toujours, des études transversales, généralement de petite taille, ont associé des taux nocturnes faibles de mélatonine plasmatique au syndrome métabolique, au diabète, ou encore, à la rétinopathie diabétique.
Signalons au passage que dans cette association entre rétinopathie et mélatonine basse, la réduction de la lumière reçue par la rétine en cas de rétinopathie, et la réduction de la mélatonine en conséquence, pourrait être un facteur confondant.
On note aussi qu'une association a été notée entre diabète et apnées du sommeil, association où l'on a naturellement tendance à attribuer le rôle causal au diabète - question d'IMC.
S'agissant de la mélatonine, toutefois, c'est bien à elle que les auteurs de l'article du JAMA attribuent un rôle causal. « Bien que les effets de la mélatonine endogène sur le métabolisme du glucose chez l'homme soient inconnus, les données animales et les études de génétique humaine suggèrent qu'une faible sécrétion de mélatonine, ou une signalisation cellulaire réduite par la mélatonine, peut altérer la sensibilité à l'insuline, et favoriser le diabète de type 2 », estiment-ils.
Un risque de diabète associé au ratio 6-sulfatoxymélatonine/créatinine
L'étude a été menée chez les participantes à la NHS qui avaient fourni un échantillon d'urine et un prélèvement sanguin en 2000. Parmi ces femmes, initialement indemnes de diabète, 370 cas de diabète incident entre 2000 et 2012 ont été identifiés, et appariés à autant de cas contrôle.
La variable était le taux de 6-sulfatoxymélatonine mesuré dans les premières urines matinales. Le taux de ce métabolite de la mélatonine a été normalisé par rapport à la créatinine. Le critère est bien entendu moins précis qu'une mesure de la mélatonine plasmatique par prélèvements séquentiels, au cours de la nuit. Les auteurs notent toutefois que le dosage de la 6-sulfatoxymélatonine urinaire est largement utilisé pour évaluer la sécrétion nocturne de mélatonine, et que sa fiabilité a été vérifiée.
Parmi les femmes ayant développé un diabète, le ratio 6-sulfatoxymélatonine/créatinine médian était de 28,2 ng/mL, contre 36,3ng/mL parmi les sujets contrôle (p<0,001), alors que les taux de créatinine n'étaient pas significativement différents (p=0,20).
On note, parmi les femmes ayant développé un diabète, un certain nombre de facteurs de risque connus (moins bonne alimentation, moins d'activité physique, IMC plus élevé, antécédents familiaux), mais aussi un nombre d'heures de sommeil inférieur et des périodes de ronflement plus fréquentes. Des ajustements ont été réalisés sur tous les paramètres démographiques, les paramètres liés aux habitudes de vie, les marqueurs de l'inflammation (hsC-réactive protéine et interleukine-6) et de la dysfonction endothéliale (molécule d'adhésion 1 et E-sélectine), les traitements (bêta-bloquants, AINS) ainsi que sur la qualité du sommeil.
Dans ces conditions, le risque relatif de diabète dans le tertile du ratio le plus bas par rapport au ratio le plus élevé, est de 2,17 (IC95% [1,18-3,98]). Les auteurs calculent que l'incidence du diabète dans le premier tertile est de 9,27 cas / 1000 personne.années, contre 4,27 / 1000 personne.années dans le tertile le plus élevé.
Enfin, on retrouve un résultat analogue en traitant le ratio 6-sulfatoxymélatonine/créatinine comme une variable continue.
Prévention deux-en-un ?
Prudemment, les auteurs listent un certain nombre de limites de l'étude : étude observationnelle, qui omet certains paramètres comme le travail de nuit, qui utilise des « surrogates » tout de même très indirects - par exemple, le ronflement comme évaluation de la qualité du sommeil - qui se limite à une population féminine, très majoritairement blanche, et qui n'a malheureusement pas recueilli de données génétiques, lesquelles permettraient de croiser les résultats avec les travaux sur le polymorphisme du récepteur B à la mélatonine.
Bref, un travail exploratoire, mais qui s'inscrit dans un contexte de données très convergentes sur les effets d'un mauvais sommeil. Dans le domaine cardiovasculaires, HTA et insuffisance cardiaque, les résultats ne manquent pas, qui associent un mauvais sommeil à des incidences d'évènements, ou leur évolution défavorable. C'est maintenant le diabète.
Pourrait-on, via le sommeil, faire de la prévention deux-en-un ? Et même trois-en-un si l'on considère qu'un risque de cancer doublé a été associé aux apnées du sommeil ? Sur le plan pratique en tout cas, on pourrait se permettre de négliger cette piste que si l'on en avait beaucoup d'autres dans le diabète ou les maladies cardiovasculaires… mais ce n'est pas le cas.
Source:
www.medscape.fr